Antananarivo, 31 octobre 2023 –Transparency International – Initiative Madagascar (TI-MG) met en œuvre un programme dédié à la promotion et au suivi de l’intégrité politique depuis 2018. Dans ce cadre, et en vue des élections présidentielles de 2023, TI-MG a entrepris une multitude d’actions destinées à assurer l’égalité des chances entre les candidats, contribuer à un assainissement du cadre juridique et institutionnel des élections, impulser une amélioration des pratiques électorales et de la culture démocratique à Madagascar, et à prévenir puis signaler les actes liés à la corruption électorale.
Combinant recherche, investigations journalistiques, plaidoyer et mobilisations citoyennes et communautaires, TI-MG a notamment produit une étude sur l’opacité des financements politiques et la capture de l’Etat (2021)1 et une analyse de la loi n°2018-008 du 10 avril 2018 portant relative au régime général des élections et des référendums (2022)2, assortie d’une proposition d’amélioration de cette loi, incluant le plafonnement et la transparence obligatoire des fonds de campagne. Un texte ignoré par la majorité des députés de Madagascar auxquels il a pourtant été systématiquement remis, renforçant le sentiment de mépris collectif envers les principes d’intégrité, de transparence et de redevabilité dans la gestion des affaires nationales.
Déterminée à poursuivre ce plaidoyer malgré les aléas, TI-MG a décidé de conscientiser les électeurs à travers une campagne massive et multiforme sur la nécessité de savoir voter, en votant pour des idées et non de l’argent. Du hira gasy3 au porte-à-porte, en passant par les spots radio et télé et les roadshows dans les chefs-lieux de province et leurs périphéries, TI-MG mise sur la lucidité des électeurs pour contrer le diktat de l’argent imposé par certains politiciens. L’élaboration et la dissémination de la grille Hayfidy4, un scorecard destiné à aider les électeurs dans leur choix, sur la base de critères objectifs et rationnels, constituent une étape clé dans le changement progressif de pratiques politiques. Ce dispositif, qui a notamment reçu l’appui de l’Ambassade de Suisse à Madagascar et d’autres partenaires, est complété par l’initiative #TAFA2023 – réalisée en étroite collaboration avec la Friedrich-Ebert-Stiftung (FES) Madagascar et l’Electoral Institute for Southern Africa (EISA) – qui consiste à mieux informer les électeurs sur les candidats en lice à travers deux volets : des émissions individuelles au cours desquelles les candidats exposent leurs programmes et répondent aux questions des OSC ; et trois débats réunissant des candidats aux présidentielles (sur une base volontariste) autour de thématiques données5. Une plateforme gratuite et ouverte qui a pourtant été elle aussi snobée par certains candidats.
Par ailleurs, TI-MG s’est alliée avec la FES et Actions Médias Francophones Madagascar (AMFM) autour du projet VaovaoCheck appuyé par l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), visant notamment à lutter contre la désinformation en période électorale – à travers le fact-checking ; tout en promouvant le droit universel d’accès à l’information. Les premières analyses sont déjà disponibles sur www.vaovaocheck.mg
Dénonçant continuellement la capture de l’Etat, la manipulation des institutions, les entorses à la loi et les violations des libertés et droits fondamentaux dans ce contexte électoral délétère, TI-MG unit ses efforts à ceux des forces vives en place et milite pour la tenue d’élections libres, transparentes et reconnues par tous. Fidèle à son engagement anti-corruption, elle livre aujourd’hui les premières analyses issues des travaux de sa Cellule de Suivi des Elections (CSE) qui se penche sur deux points particuliers : les dépenses de campagne et les manifestations de la corruption électorale. Cette cellule, se composant d’une unité « terrain » et d’une unité « médias et réseaux sociaux », est opérationnelle dans les six chefs-lieux de provinces et à Taolagnaro, et est animée par le staff de TI-MG et les bénévoles de l’association, appuyés par les CAJAC (Centres d’assistance juridique d’action citoyenne) et les journalistes d’investigation de l’ONG MALINA.
D’après le calendrier officiellement établi par la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), la campagne électorale a été lancée le 10 octobre 2023 pour trente (30) jours rallongés d’une semaine après le report de la date du premier tour au 16 novembre par la HCC. Au cours des deux premières semaines de cette période, seuls deux candidats sont entrés en campagne : Andry Nirina Rajoelina (candidat n°3) et Sendrinson Daniela Raderanirina (candidat n° 11). Ils ont été rejoints à partir du 22 octobre par le candidat n°13, Siteny Randrianasoloniaiko qui faisait auparavant partie du Collectif des candidats ayant décidé de ne pas faire campagne pour asseoir leurs revendications.
En termes de méthodologie, un canevas de suivi des dépenses par candidat a été élaboré par TI-MG sur la base des meilleures pratiques internationales. Sont évaluées les dépenses médiatiques liées à la publicité politique (télévisions, radios, presse écrite), et les dépenses non-médiatiques surtout liées aux déplacements sur terrain et aux meetings des candidats. L’estimation des dépenses de campagne se fait sur la base d’observations directes (ex : participation aux meetings) et secondaires (examen de clichés, etc.), puis par extrapolation, étant donné que l’équipe de la CSE de TI-MG est limitée en nombre et en ressources et ne peut pas suivre les candidats dans tous leurs déplacements. Les grilles tarifaires des médias observés, ainsi que les catalogues de prix des matériels « usuels » de campagne (imprimerie, sonorisation, véhicules, etc.) ont été collectés au préalable pour assurer un maximum de précision aux calculs.
Pour ce qui est de la corruption électorale, TI-MG a lancé un appel à témoignages publics, encourageant le signalement de faits suspicieux, déploie ses observateurs sur le terrain et relève également les faits rapportés dans les actualités et sur les réseaux sociaux.
Les principaux objectifs de cette démarche sont de :
L’association tient à préciser que les résultats présentés aujourd’hui résultent du suivi réalisé du 10 au 28 octobre 2023 et qu’il s’agit d’estimations de dépenses et de suspicions de corruption électorale. TI-MG appelle les responsables de la Commission de Contrôle du Financement de la Vie Politique (CCFVP) et les institutions anti-corruption à utiliser ces informations à toutes fins utiles et à prendre les mesures adéquates le cas échéant.
Un constat est prégnant : l’argent circule abondamment pendant la saison électorale. A l’issue de ces trois semaines d’observations, TI-MG a évalué les dépenses minimales engagées par chaque candidat en campagne comme suit :
[Cliquez ici pour plus de détails]
Même si le Collectif des candidats ne fait pas campagne, TI-MG a jugé utile d’estimer les dépenses engagées par le mouvement à des fins comparatives. Pour l’ensemble des candidats, un poste de dépense n’a pas encore pu être évalué. Il s’agit des cachets des artistes engagés pour les meetings politiques. Cet élément sera valorisé lors d’une analyse ultérieure.
Les disparités de moyens et de fonds engagés sont flagrantes. Les dépenses engagées par le candidat n°3 pour ces 3 semaines de campagne avoisinent les 665 946 euros ; contre 5 834 euros sur la même période pour le candidat n°11 et 235 700 euros pour le Collectif regroupant 10 candidats. Le fait que le candidat n°13 ait dépensé près de 603 142 euros pour une seule semaine de campagne est d’autant plus frappant.
Les candidats n°3 et n°13 sortent du lot en termes de flux financiers. TI-MG soumettra à l’ensemble des candidats un questionnaire sur leur budget de campagne et leurs sources de financements et les résultats seront analysés ultérieurement. En attendant, des questions se posent : de telles dépenses sont-elles décentes face à la misère des Malgaches ? Mais surtout : d’où proviennent ces fonds ? Sont-ils licites ? Quels sont les potentiels deals derrière ces financements faramineux ?
Il est probable que ces fonds proviennent au moins en partie d’entreprises du secteur privé. Cependant, à titre de rappel, la Charte d’intégrité du secteur privé face aux élections de 2023 lancée par TI-MG en décembre 2022, encourageant les potentiels sponsors de candidats à divulguer publiquement leurs « dons » et contributions électorales, n’a jusqu’ici aucun signataire. Ceci pour démontrer la persistance de l’opacité dans ce milieu, renforçant les craintes de capture de l’Etat et du processus électoral par des intérêts privés potentiellement malveillants.
Sur un autre plan, TI-MG est arrivé à la conclusion que les tarifs exorbitants « spécial élections » pratiqués par la plupart des médias (surtout les chaînes télévisées) ajoutent un frein supplémentaire à l’égalité des chances entre candidats. Lorsqu’il faut payer 3 000 000 Ar pour 5 minutes d’intervention dans un journal télévisé, les candidats aux moyens limités ne peuvent qu’être lésés. La vénalité et l’amour du profit l’emportent sur la conscience citoyenne, biaisant un peu plus un processus déjà bancal.
D’après les recherches menées par Transparency International, il existe Il existe trois manières fondamentales de porter atteinte à l’intégrité électorale : l’achat de voix, l’abus des ressources de l’État et le trucage des élections6. La corruption électorale liée à ces pratiques peut survenir avant, pendant et après le jour du scrutin.
Des cas préoccupants ont été relevés par TI-MG, sur la base des différentes observations menées, notamment :
Bien qu’il appartienne aux institutions anti-corruption de procéder aux investigations liées à ces cas, les suspicions de corruption sont permises et interpellent sur le modus operandi du candidat n°3 dont le nom est jusqu’ici le plus associé à ces pratiques.
Par ailleurs, des conflits d’intérêt peuvent exister entre le Secrétaire exécutif de la CENI, Tseheno Rakotondrasoa, frère du Député Fetra Rakotondrasoa – proche du parti Freedom, et Lalatiana Rakotondrazafy, présidente dudit parti et l’un des principaux soutiens du candidat n°3. Des dispositifs sont-ils en place pour garantir l’indépendance et l’impartialité des institutions électorales ? Ceci renforce les doutes déjà exprimés par de nombreux observateurs sur la potentielle capture et manipulation de la CENI et de la HCC par l’équipe du candidat n°3.
Un cas particulièrement grave mérite d’être souligné, mêlant corruption électorale et violation des droits fondamentaux. Le 14 octobre 2023, le candidat n°3 a organisé des distributions de denrées alimentaires dans des fokontany de la capitale. Un ticket repas comportant le nom, la photo et l’adresse de chaque bénéficiaire a été imprimé aux couleurs du candidat et remis par des agents des fokontany aux domiciles des cibles (profil identifié : personnes à revenus modestes). Après investigation sur le terrain, il a été prouvé que ces données personnelles ont été directement extraites des registres des fokontany et imprimés sans le consentement de leurs propriétaires. Le droit à la protection des données à caractère personnel est pourtant reconnu à toute personne. Il s’agit d’un droit autonome qui fait partie intégrante des droits humains. La loi n°2014-038 du 09 janvier 2015 sur la protection des données personnelles couvre le sujet à Madagascar et met en place la Commission Malagasy de l’Informatique et des Libertés (CMIL) censée protéger lesdites données. La CMIL n’est pourtant pas encore pleinement opérationnelle et ce vide encourage les violations de ce type.
Ce même cas amène à s’interroger sur la responsabilité et l’implication des chefs fokontany et de leurs collaborateurs dans ce dispositif malveillant. Car il est peu probable que le parti du candidat n°3 ait eu accès aux registres des fokontany sans leur aval. Ceci équivaudrait à une violation de l’article 57 de la loi n°2018-008 du 10 avril 2018 relative au régime général des élections et des référendums qui pose comme principe la neutralité de l’Administration et l’impartialité des services publics, et qui dispose clairement à l’article 60 qu’ « Il est interdit à tout fonctionnaire civil ou militaire et agent non encadré de l’Etat et des collectivités territoriales décentralisées, qui sont soumis à des obligations de neutralité, d’assiduité, de plein emploi et d’honnêteté, et sous les peines prévues à l’article 227 de la présente Loi organique pour les infractions en matière de propagande électorale, de participer à la campagne électorale en vue de faire voter pour un candidat, une liste de candidats ou une option. » Ceci s’applique également au cas du chef CISCO cité précédemment et aux nombreux officiels en poste qui font ouvertement campagne pour des candidats.
Enfin, ce même cas soulève également des questions financières. En effet, si lors de cette seule journée du 14 octobre, il est supposé que le parti TGV ait organisé ces distributions de « dons » dans les 192 fokontany des six arrondissements de la Commune urbaine d’Antananarivo ; et si les « dons » distribués à chaque personne sont estimés à 10 000 Ariary. En prenant l’hypothèse que 1 000 personnes aient été ciblées par fokontany, cela donnerait déjà la somme de 1 920 000 000 Ar, soit près de 399 491 euros. Et si ce type de dispositif était multiplié à l’infini, tout au long de la campagne électorale, et dans tout Madagascar ? D’où vient cet argent ? Quid du droit de chacun à choisir librement celui pour lequel il veut voter ? La vigilance est de mise, et le silence des autorités anti- corruption est pour le moins inquiétant devant la profusion des cas suspects.
***
Devant ces divers constants, TI-MG redemande aux acteurs politiques et étatiques d’agir avec intégrité et transparence. Plus particulièrement :
TI-MG fait appel :
La situation est plus que tendue. TI-MG espère que cette première analyse permettra d’éclairer les esprits et poussera chacun à contribuer activement à l’assainissement et au redressement de ce processus électoral capturé. La manipulation des institutions et les violations multiples de la Constitution perpétrées par une poignée d’individus doivent cesser au profit de l’intérêt supérieur de la Nation. Car les Malgaches méritent mieux.
1 https://www.transparency.mg/telechargements/lopacite-du-financement-politique-a-madagascar/
2 https://www.transparency.mg/telechargements/le-financement-des-campagnes-electorales-a-madagascar/
3 https://youtu.be/zzaWCJR1sH0
4 https://www.transparency.mg/telechargements/hayfidy2023_mg/
5 Les enregistrements des trois débats sont accessibles sur la page Facebook Transparency International – Initiative Madagascar
6 https://knowledgehub.transparency.org/guide/topic-guide-on-electoral-corruption/5189